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Fanfan et Monsieur Ti étaient attablés devant des bols de café, occupés à découper des statistiques dans un journal pour les brûler ensuite à la flamme d’une allumette. Tous deux m’expliquèrent avec gaieté qu’ils haïssaient les probabilités, cette façon de corseter notre destinée dans des chiffres. Fanfan entendait se soustraire aux lois des grands nombres. Elle se rêvait unique.
Elle me proposa un café et attisa mes sentiments par un sourire ; puis, au fil de la discussion, elle m’apprit qu’elle voulait être réalisatrice et mettre une majuscule à chacune des lettres de ce métier. Elle n’envisageait d’autre issue pour échapper à l’asphyxie du quotidien que de tourner des films dans lesquels la vie serait enfin fardée telle qu’elle devrait l’être : non pas en rose, mais avec des couleurs brûlantes.
Pressée d’en finir avec les atermoiements de l’adolescence, elle avait abandonné le lycée, sa famille et sa Normandie à dix-sept ans pour s’établir à Paris, afin de devenir metteur en scène dans les plus brefs délais.
- Il y avait des place à prendre, m’expliqua-t-elle, Truffaut était mort.
- Bien sûr, lui répondis-je, ahuri.
(…)
Huit jours après son départ, son père l’avait sommée de regagner le bercail, avait cessé de lui verser la moindre somme. Elle s’était arrangée, avait appris à vendre des photos à des agences. Et lorsque les producteurs dont elle avait forcé la porte l’avaient éconduite, elle avait pris sa caméra par les cornes. Sans attendre qui que ce fût, elle avait tourné tout ses films en Super 8 avec des moyens qui n’en étaient pas, en vendant ses photographies de mode. Cette source de revenus étant insuffisante, elle avait accumulé les ardoises dans les laboratoires, n’avait pas jugé indispensable de payer les comédiens. Ses techniciens se rémunéraient de leur fierté de travailler pour elle ; de toute façon, les découverts bancaires de Fanfan étaient abyssaux. Mais à vingt ans, elle avait déjà réalisé cinq longs métrages, tous en Super 8.
- … dont un western et deux films fantastiques, précisa-t-elle avec orgueil.
Pour le western, elle avait proposé au propriétaire d’une ville de cow-boys, reconstituée pour les enfants, de lui tourner un film publicitaire en échange duquel ce dernier lui avait prêté ses décors.
À l’écouter, l’Everest semblait un talus, les nœuds paraissaient destinés à être dénoués et l’argent n’était un problème que pour ceux à qui elle en devait. Fanfan n’avait pas peur de ses peurs. Son instinct de la liberté me fascinait et m’affolait.
Alexandre Jardin, Fanfan
Flammarion, 1990
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"J’aimais le cinéma comme tout le monde l’aime – comme une distraction, du papier peint animé, une bagatelle." (Cliquer ici pour la lire la suite...)
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